Lettre ouverte – Programme d’aide à la relance par l’augmentation de la formation
Le 26 novembre dernier, le ministre du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale (MTESS), Jean Boulet, a annoncé le lancement du Programme d’aide à la relance par l’augmentation de la formation (PARAF). Outre le fait que les services d’orientation n’aient pas du tout été intégrés dans l’application du PARAF, nous jugeons primordial de souligner les risques psychosociaux et économiques associés à l’approche qui y est préconisée. Par conséquent, nous avons rédigé une lettre ouverte – signée par la directrice générale et secrétaire de l’Ordre, Martine Lacharité, c.o. – pour interpeller le ministre à ce sujet et l’inviter à collaborer avec nous dans ce dossier névralgique.
M. Boulet, les « chômeurs pandémiques » ont besoin d’un véritable accompagnement pour se réorienter !
Tout le monde le sait, « c’est pas sorcier » de choisir un métier ou de se réorienter. Comme à l’épicerie, il suffit de regarder ce qui est offert dans les étalages. Dans le cas de Jean-François (nom fictif), ça semblait presque aussi simple…
Se réorienter en contexte de crise
Au printemps dernier, ce jeune agent de bord a été happé par la première vague de « chômage pandémique ». Redoutant le stress, l’incertitude et les soucis financiers liés à une période de chômage à durée indéterminée, Jean-François s’est tout de suite senti interpellé par le programme de soutien à la formation de préposé aux bénéficiaires (PAB) offert par le gouvernement. Ce dernier représentait une solution « clés en main » adaptée à sa situation : les avantages promis étaient plus qu’attirants (bourse d’études, formation de courte durée, promesse de salaire annuel de 49 000 $) et les risques, plutôt minimes.
De tempérament fonceur et proactif, il a fait confiance à son intuition et a choisi de ne pas laisser passer cette belle occasion. Une stratégie d’adaptation plus que légitime en contexte de crise. Par ailleurs, il était convaincu que son futur emploi de PAB allait lui permettre de mettre à profit les compétences développées au cours de sa carrière d’agent de bord (ex. : service à la clientèle, premiers soins, communication en contexte difficile, etc.). De plus, il se sentait fier de venir ainsi en aide à des personnes vulnérables.
Se sentir désorienté par une décision de crise
Après avoir complété avec succès les différentes étapes de la formation, il envisageait la période de stage avec confiance. Mais c’est à ce moment que son projet a pris un virage inattendu, lui faisant vivre une grande détresse. Après chaque journée de travail, il se sentait anormalement épuisé et découragé. Confronté constamment aux souffrances de ses patients en CHSLD, il n’arrivait plus à se reposer à la maison. Pourtant, plusieurs de ses collègues de formation semblaient s’adapter plus facilement que lui.
Son optimisme habituel ne lui était d’aucune aide pour surmonter ses difficultés. Ainsi, son état de santé s’est détérioré rapidement. Manque de sommeil, perte d’appétit, difficultés de concentration et humeur dépressive, voilà quelques-uns des symptômes qui l’ont poussé à demander de l’aide et, finalement, à quitter son emploi. Ce qui était envisagé comme une solution idéale s’est malheureusement transformé en une situation pénible, le plongeant dans de nouveaux défis financiers et mettant en péril sa santé.
Pourquoi vous raconter l’expérience de Jean-François ? D’une part, car elle met en lumière les conséquences désastreuses qui peuvent survenir lorsque de telles décisions professionnelles sont prise à la légère, en mode d’urgence. D’autre part, parce que le contexte de la crise sanitaire fragilise déjà l’équilibre et les capacités d’adaptation de tous les citoyens, les rendant plus vulnérables aux facteurs de stress. Soulignons aussi que la prévalence des problèmes de santé mentale est en hausse constante depuis le début de la pandémie. Il devient donc crucial d’adopter une approche préventive pour réduire les facteurs de risque, entre autres grâces à des services de soutien et d’accompagnement.
L’accompagnement vers une réorientation durable
En ce sens, l’Ordre des conseillers et conseillères d’orientation du Québec (OCCOQ) lance un appel au ministre du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale (MTESS), Jean Boulet, afin qu’il adopte une telle approche dans la mise en œuvre de son Programme d’aide à la relance par l’augmentation de la formation (PARAF). Selon le communiqué du MTESS, cette mesure totalisant 114 M$ devrait permettre à plus de 20 000 chômeurs pandémiques « d’effectuer des démarches menant à l’obtention des compétences recherchées en ce qui concerne les emplois disponibles », une initiative que l’OCCOQ salue.
Toutefois, nous sommes sidérés par le fait que les services d’orientation n’aient pas du tout été intégrés dans l’application du PARAF. Rappelons que les conseillers et conseillères d’orientation (c.o.) sont les professionnels tout indiqués (habilités par le législateur) pour accompagner les personnes en démarche de réorientation de carrière. Par conséquent, l’accès à leurs services devrait être partie intégrante de ce type de mesure, en priorité pour les personnes ayant besoin d’aide afin de bien évaluer tous les facteurs et les risques inhérents à leur réorientation. L’accompagnement individualisé offert par les c.o. – accessible et disponible dès maintenant dans le vaste réseau des organismes d’employabilité – leur permettra de prendre des décisions éclairées, en adéquation avec leur identité, leurs ressources personnelles et leurs conditions de vie. Ainsi, leur insertion durable en emploi sera favorisée, au bénéfice des employeurs et de l’économie québécoise.
Nous comprenons évidemment l’objectif de la relance économique associé au PARAF, mais la prudence est de mise pour éviter de transformer cet exercice en un simple appariement entre candidats et besoins du marché (à partir d’une « liste d’épicerie »). Ensemble, nous pouvons réduire les risques psychosociaux et économiques associés aux prises de décision dictées par l’urgence.
Martine Lacharité, c.o.
Directrice générale et secrétaire
Ordre des conseillers et conseillères d’orientation du Québec